Le portique et les deux ailes massives du Tribunal fédéral intimident toujours un peu le badaud qui s'en approche. Une retenue qui plonge le quartier dans un calme quasi religieux. Même les enfants qui jouent dans le parc de Mon-Repos semblent plus silencieux.
L'impression d'une douce irréalité nous emporte encore jusqu'au chemin de Bellevue, une route pentue et glissante, que nous traversons rapidement pour accéder à un quartier plus cossu et résidentiel, où l'école que nous recherchons se trouve. Cachée par une végétation dense, elle est là, agrippée au versant d'une colline: l'Ecole d'Ingénierie Appliquée (EIA).
Comme à la maison
Le bâtiment à l'aspect industriel contraste avec les édifices plutôt pompeux du quartier. Une sobriété à l'opposé de l'opulence de certaines écoles privées. Il nous reste encore quelques escaliers à gravir et nous y sommes. Des jeunes sont regroupés près de l'entrée. Il est dix heures pile, l'heure de la pause.
Lorsque nous entrons, un homme nous accueille: Jean-Pierre Bertrand, le directeur de l'école. Son l'allure est décontractée et son accueil chaleureux. Premières impressions: locaux modestes mais fonctionnels, mobilier qui commence à dater mais qui tient le coup, peinture quelque peu défraîchie - il faut bien l'avouer. Jean-Pierre Bertrand nous invite à nous asseoir. Est-ce le secrétariat? Des élèves entrent et sortent. Comme à la maison. Ah oui, c'est toujours la pause! On aperçoit des barres chocolatées en vente sur un présentoir. L'entretien débute.
Une alternative au cursus traditionnel
L'EIA compte une quarantaine d'étudiants répartis dans trois niveaux et sections différentes (électronicien ou informaticien (CFC), technicien en électronique ou en informatique (diplôme) et ingénieur en électronique ou en informatique (bachelor). Un chiffre en baisse qui témoigne d'un désintérêt croissant des jeunes pour ce type de formation. Et ceci malgré les nombreux débouchés en informatique notamment. Les mathématiques, l'algèbre ou la physique, ça en rebutent plus d'un. Les élèves préfèrent la technologie des composants, la programmation ou les systèmes d'alimentation. Et encore... "L'EIA a dû diversifier son offre, nous explique Jean-Pierre Bertrand. Voilà pourquoi nous proposons aujourd'hui des cours préparatoires aux examens, des cours de langues ou encore des cours spécifiques en formation continue."
Nous osons une question. Et la concurrence: a-t-elle une incidence sur cette baisse? Jean-Pierre Bertrand réfléchit. Il existe bien sûr d'autres écoles privées. Mais c'est surtout la Haute Ecole d'Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud (HEIG-VD) qui est sa plus grande concurrente. Et, dans une moindre mesure, l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL). Même si l'EIA ne se bat pas dans la même catégorie. Mais face à de tels mastodontes, difficile d'exister.
Comment faire dès lors? Valoriser son handicap. Autrement dit sa petite taille qui est devenue la carte de visite de l'EIA. Avec des effectifs de 5 à 6 étudiants par classe, les profs peuvent s'occuper individuellement de chaque élève. Et s'adapter à leurs besoins. Un encadrement bienveillant qui attire des enfants qui peinent souvent à s'insérer dans un cursus traditionnel. Une vocation sociale qui prévaut depuis les débuts de l'école. "Fernand Cuenod, son fondateur, était un ancien ingénieur à l'EPFL, raconte Jean-Pierre Bertrand. Il avait constaté qu'il manquait une école technique réellement adaptée à des jeunes en difficultés. Ou incapables de suivre un cursus traditionnel. En fondant cette école, il voulait donner la possibilité à ces jeunes de poursuivre leurs études et ainsi d'obtenir un diplôme. Aujourd'hui encore, nous nous inscrivons dans cette tradition."
Une formation pratique et concrète
La souplesse de l'encadrement permet ainsi un suivi plus personnalisé, comme l'explique Michel Megbemado, le directeur adjoint de l'école qui nous a rejoint. "A l'EIA, dit-il, les élèves sont au centre de nos préoccupations, ce qui nous permet de détecter plus facilement leurs insuffisances. Ce suivi individuel est rendu possible grâce au nombre restreint d'élèves par classe." Et le directeur adjoint de poursuivre: "On tient aussi beaucoup au contact avec les parents. Des échanges réguliers qui nous permettent de déceler tout de suite les problèmes et de s'adapter en fonction des difficultés familiales ou personnelles rencontrées."
Nous descendons au rez-de-chaussée à la rencontre des étudiants. D'ailleurs, qu'en pensent-ils de leur école? Six garçons regardent leur écran d'ordinateur. Des têtes qui se lèvent. Et les mêmes constats partagés: de la souplesse, un encadrement efficace et surtout beaucoup d'autonomie. "A l'EIA, les profs nous incitent à nous prendre en charge, explique Bruno Azoulay, un étudiant technicien en informatique, à nous "auto-former". Ils ne nous disent pas ce qu'il faut faire. On nous donne un projet et on le réalise. Personne n'est derrière nous pour nous dire quoi faire. C'est un peu comme dans une entreprise."
A l'inverse de la recherche fondamentale - comme elle se pratique par exemple à l'EPFL-, la recherche appliquée doit aboutir à des développements de produits. "Ce qui veut dire que la pratique est primordiale, nous explique Michel Megbemado, de même que l'expérimentation. Les élèves font eux-mêmes les composants et voient concrètement ce qui se passe. Ils doivent être opérationnels à la fin de leur formation."
Et combien ça coûte?
Alors que nous remontons pour nous rendre à l'accueil, la question du prix nous vient à l'esprit. Le prix, oui. Combien ça coûte? "Fr. 12'000.- par année, nous répond Jean-Pierre Bertrand, une somme qui peut vite s'avérer onéreuse pour des jeunes issus de milieux socioéconomiques défavorisés." Et Jean-Pierre Bertrand de détailler lorsqu'on le questionne sur une possible aide étatique: "L'Etat n'aide pas les étudiants qui suivent des cours dans une école privée, déplore-t-il. L'Etat part du principe que les parents qui envoient leur enfant dans une école privée ont les moyens. Ce qui est loin d'être le cas. Surtout en ce qui concerne nos étudiants. Quant aux bourses d'études, les autorités ne les octroient que très rarement à des étudiants en école privée. Les plus démunis ont recourt à des fondations ou des organismes privés. Certains étudiants d'origine étrangère financent leurs études ainsi. Mais pour les étudiants suisses, c'est plus compliqué."
Et que font-ils alors ? Nous quittons l'EIA avec cette question en suspens. Le quartier de Mon-Repos est toujours aussi calme. Peut-être parce que le Tribunal fédéral règne en maître en ces lieux. Les jeunes qui tuent l'ennui, eux, il faut aller les chercher plus au nord. Proche de la couronne périurbaine. Et que font-ils alors ? Personne n'en sait rien.
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