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Patrick Delachaux critique la police genevoise

Interviews -
12 avril 2011


Patrick Delachaux critique la police genevoise
La rencontre avec Patrick Delachaux a lieu devant la librairie Payot, dans le centre piéton de la ville de Neuchâtel. Le romancier et ancien flic vient de terminer la séance de dédicaces programmée à l'occasion de la sortie de son dernier livre, "Grave Panique." Le soleil au zénith et la température douce pour le début du mois d'avril nous font rechercher une terrasse. La discussion commence autour d'une bière blanche.
Patrick Delachaux, vous avez quitté la police genevoise après près de 20 ans de service en 2002. Vos nombreux écrits et interventions réalisés depuis attestent d'un regard critique sur le métier de policier. Quelle est votre opinion sur la grève des amendes lancée au début de l'année à Genève?
Elle est indécente quand on sait qu'un policier genevois gagne 10 000 francs par mois, sans compter les différentes compensations dont il jouit.
D'autre part, cette action a été mal dirigée. Elle s'est attaquée au monde politique au lieu de viser la direction institutionnelle de la police, qui est incompétente. Le syndicat vomit continuellement sur la hiérarchie, entre autres sur la question des horaires de travail, mais il fait une grève contre le politique, ça n'est pas très cohérent.
Vous parlez de l'incompétence de la direction. Comment se caractérise-t-elle?
L'Etat major de la police genevoise est composé de personnes affectées à des domaines pour lesquels elles n'ont pas reçu de formation. Par ailleurs, le gros souci des officiers est de faire grimper dans l'ordre hiérarchique des gens facilement maîtrisables pour être tranquilles, ceci indépendamment de leur compétence.
L'ancienneté prime dans la police et l'on peut y gravir les échelons en passant par plusieurs fonctions différentes. Dans le domaine hospitalier, cela reviendrait à devenir directeur après avoir débuté aux urgences 30 ans plus tôt.
Ce jugement sans concessions n'est-il pas influencé par vos mauvaises relations avec certains membres de la direction de la police genevoise?
Totalement. Lorsque j'ai apporté ma contribution au film "Pas les flics pas les Noirs pas les Blancs" -ndlr. Un documentaire d'Ursula Meier sur le travail de flic de quartier, représenté par Patrick Delachaux, Sarah Khalfallah et Alain Devegney, et sa mise en relation avec les communautés migrantes tourné en 2001-, on m'a dit: "On n'a pas besoin d'intellectuels dans la police genevoise" et j'ai été suspendu pendant deux ans. J'ai ensuite été chargé de m'occuper du dossier éthique et droits humains alors que je suis ingénieur de formation.
Vous critiquez la politique pluridisciplinaire de la police. Quel système préconisez-vous?
Il faudrait intégrer des compétences extérieures dans certains domaines. Tenez, le service de presse est par exemple géré par quatre flics. Qu'il soit confié à des journalistes. Le même raisonnement peut être observé en ce qui concerne le secrétariat, les ressources humaines ou la fonction de quartier-maître. Tout le monde dit qu'il n'y a pas assez de policiers dans la rue, cette nouvelle organisation permettrait d'y remédier.
Quel est votre opinion au sujet du recrutement de frontaliers dans la police du bout du lac, l'autre controverse de ce début d'année?
Il s'agit de deux Assistants de sécurité publique destinés à effectuer un travail administratif. Personnellement, je me fous de la frontière. Ce qui compte, c'est de pouvoir établir une relation de confiance avec la personne que l'on engage. Des dérives et des voyous, il y en a partout.
Les opposants à ces recrutements affirment que les nouveaux collaborateurs connaissent mal la réalité genevoise
Savez-vous combien de Valaisans il y a dans la police genevoise? Une bonne partie des membres de cette institution ne participent pas à la vie communautaire et retournent dans leur canton d'origine dès qu'ils en ont l'occasion. Genève a le corps de police qui paie le mieux, elle attire donc de nombreuses personnes de l'extérieur.
A vous entendre, on pourrait croire que rien ne va dans la police genevoise. Que tout n'y est que manipulation et corruption. Ne voyez-vous vraiment rien de positif?
Oui, le fait que les policiers croient à leur métier, l'aiment. A la base, ce sont des gens bien prêts à s'engager corps et âme dans l'exercice de leur fonction. Cependant, l'attitude de la police à l'occasion de certains événements de l'actualité récente me fait réfléchir. En Tunisie et en Egypte, par exemple, elle est la première a avoir fui. Je me demande quelle va être sa place dans le futur, si elle ne va pas progressivement disparaître au profit de forces de sécurité privées. 
Propos recueillis par LP
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